Un jour que je m’étais rendu à une assemblée de voyants, mediums et autres pythonisses, une femme me lança en passant que j’avais une belle aura. Tout naturellement je lui décochais un sourire de satisfaction et une fois que mon orgueil eût retrouvé des proportions acceptables je me demandais comment, cette fameuse aura, elle avait pu la discerner. J’étais cependant partagé entre le désir légitime de croire à sa double vue et celui de la suspecter de charlatanisme, dans la mesure où—pour cette seconde option—prodiguer un compliment à un client potentiel est l’enfance de l’art du vendeur.
Des années plus tard je me sentais cependant beaucoup moins sceptique. La nature humaine recèle une multitude de dons et aussi présomptueux que nous soyons quant à notre évolution nous devons admettre que nous sommes loin d’utiliser toutes nos aptitudes. Certaines mêmes sont si profondément enfouies que nous ne soupçonnons même pas leur existence.
Une chose est sûre: être à même de lire l’aura devrait être une faculté totalement ordinaire, un sens aussi commun que la vue ou le toucher. Et pour peu que nous l’ayons fait surgir comme cette femme croisée des années plus tôt, parfaitement naturel.
Pour ma part, sans vouloir passer pour un maître en sciences occultes je trouvais, il y a peu, une occasion de faire surgir ce don. Dans le train qui m’emmenait vers Paris un homme vint s’asseoir sur la banquette opposée. Selon le poète Paul Éluard il n’y a pas de hasard, il n’y a que des rendez-vous. Il portait un long manteau chiné, arborait une magnifique barbe blanche et une longue chevelure argentée. Ses yeux pétillaient. Il semblait tout droit sorti d’une épopée de J.R.R. Tolkien.
Pouvais-je voir son aura? Sans aucun doute. Mais il faut comprendre que l’aura rayonne autrement que par sa substance. Un jour un visiteur de la fameuse Factory voulut acheter l’aura d’Andy Warhol, proposition à laquelle le roi du Pop Art aurait répondu négligemment «Non, désolé, l’aura n’est pas à vendre.» Car ce qui caractérise l’aura c’est non seulement la personnalité, les dons et l’imaginaire de son détenteur mais l’atmosphère qu’elle génère et toute l’énergie qu’elle communique aux alentours.
Une jeune fille nous avait rejoints. Elle avait de l’esprit et se mit à conter l’histoire des caniches successifs de Schopenhauer qui portaient tous le même nom, «Atma», ce qui signifie «L’âme du monde», le philosophe voulant sans doute rappeler que «L’âme du monde» ne meurt jamais.
Elle descendit du train, suivie peu après par mon héroïque personnage. Si l’aura ne peut se vendre, ni se louer, ni même s’emprunter elle continue d’agir après le départ de son possesseur. L’âme du monde, elle, appartient à chacun. Elle se donne à ceux qui l’appellent.
Paul-Henri Narcejac