Une préface signée Frédéric Beigbeder, une couverture superbement illustrée, un titre qui fait rêver… Il ne nous fallait guère plus pour nous emparer avec fougue du livre “Le refuge des étoiles” de l’auteure Charlotte Saliou publié chez Blacklephant Éditions.
Cette intrigue cousue au fil d’or rend hommage à la Rive Gauche parisienne : l’iconique quartier de Saint-Germain dont l’âme et l’essence prennent place à l’hôtel La Louisiane.
A pas de velours, l’auteure nous embarque dans un univers lumineux et fantasque qui s’épanouit entre les murs de cet hôtel. Ses pensées évanescentes couchées sur papier se mêlent à des anecdotes réelles qui ont eu lieu au sein de cette mythique adresse.
La plume finement ciselée ne manque pas de frivolité et c’est précisément ce qui nous transporte sur les chemins buissonniers du plaisir littéraire. Quelle liberté dans le ton, quel récit délicieux !
Cet opus, comme le signe à juste titre Frédéric Beigbeder s’attaque véritablement à un monument germanopratin : “La Louisiane est un livre qui attendait d’être écrit. Charlotte Saliou l’a fait avant moi, avec lyrisme et nostalgie. Je l’envie beaucoup et lui en veux un peu. Maintenant, tous les secrets du Chelsea Hotel parisien sont dévoilés sur la place publique.”.
Dès les premières pages, nous avons été captivées par son personnage : Charly, une femme intrigante en quête de frisson qui n’a pas froid aux yeux. La nuit, elle se faufile sur les toits parisiens pour pénétrer les appartement et dérober quelques bijoux. Cette image ne nous fait-elle pas penser à la magnifique illustration de René Gruau ?
A moins que cela nous fasse penser à Irma Vep incarnée par la muse des surréalistes Musidora ?
Mais un soir, la jeune protagoniste, Charly, entre par effraction dans un appartement (en escaladant les toits en zinc) et tombe nez à nez avec Serge. Cet homme d’un certain âge (ou plutôt d’un âge certain) n’est nullement étonné de se retrouver face à face avec une voleuse. Et comme il n’y a pas de hasard, mais que des rendez-vous, leur discussion va changer le cour de l’existence de Charly.
Il lui conseille d’aller travailler à la Louisiane pour combler sa quête de sensation et pour voler autre chose que des bibelots : voler des histoires de vie.
Charly est embauchée comme réceptionniste, elle découvre alors un quotidien exalté et exaltant, fait de rencontres, d’exquises divagations, d’histoires conjuguées au passé…
Elle tutoie les étoiles qui ont habité les lieux : Rimbaud, Verlaine, Lucian Freud, Jean-Paul Sartre, Simone de Beauvoir, Juliette Gréco, Albert Cossery, Keith Haring, Jim Morrison ou encore Quentin Tarantino…
L’auteure, elle même salariée à l’Hôtel La Louisiane, entraîne dans son sillage, des lectrices et des lecteurs envoûtés par ces secrets autrefois bien gardés…
Sans plus tarder, voici un court extrait :
“Je rentrais à La Louisiane et, sur mon chemin, je laissais mes idées vagabonder, ainsi que les images : une cigarette qui brûle, un coup de révolver, une danse twistante, un rail de cocaïne, un meurtre, du sexe, un cunnilingus…”.
L’avis de Paris Frivole : “Le refuge des étoiles” est un roman croustillant et fascinant. C’est un voyage sensible et poétique à travers les époques qui laisse penser que l’âme du Paris Frivole d’autrefois n’a pas disparu.
A la recherche de ces années rock&roll où la liberté s’exprimait outrageusement et où les Arts avaient une place de choix, nous avons trouvé entre ces pages, l’espoir d’un Paris à nouveau audacieux et trépidant.
Et s’il était possible, passé minuit, de se rendre à l’Hôtel La Louisiane pour se glisser dans une faille spatio-temporelle ? On pourrait ainsi déambuler dans les couloirs de l’hôtel, une coupe de champagne à la main et discuter nonchalamment avec des artistes et des intellectuels ? Ce rêve paraît possible en se plongeant dans la lecture de ce livre.
A propos de l’Hôtel La Louisiane : venue du Jura, la famille Blanchot reprend la gestion de l’Hôtel La Louisiane après la Première Guerre Mondiale. Avec Elysée Blanchot, l’aïeul de Xavier Blanchot, actuel gestionnaire de l’hôtel, La Louisiane devient progressivement l’hôtel des voyageurs, des vagabonds, et se transforme au fil des générations en établissement artistique et littéraire.
Marthe Blanchot, son épouse a vu passer Sartre venu s’installer en 1943 avec Simone de Beauvoir. Couple hors des normes de l’époque, ils ne partagent pas la même chambre. Simone de Beauvoir écrit au sujet de l’hôtel « Aucun abris ne s’étant tant approché de mes rêves, j’envisageais d’y rester toute ma vie ».
En 1943, au début de sa résidence, Jean-Paul Sartre habite la chambre de l’angle de la rue de Seine et de Buci, une rotonde, dénommée la 9, et actuellement appelée la 10. Le grand philosophe, essayiste et écrivain choisit la Louisiane, motivé par cette raison principale : l’hôtel est chauffé au charbon, une denrée rare à l’époque. Il rencontre la jeune Gréco, une jeune femme modeste, qui ne connait pas encore le succès ; il l’aide à s’installer dans la 10 et choisit alors la chambre 19. C’est lui qui repère son talent et la lance sur la scène parisienne.
Les existentialiste et les jazzmen américains comme Miles Davis, amant et amour de Juliette Gréco se retrouvent au Tabou à danser des nuits entières sur le son des cuivres, et celui également, de la « trompinette » de Boris Vian, comme lui-même la qualifie affectueusement.
Sartre, quant à lui, a l’habitude de déjeuner au Flore, à quelques mètres de la Louisiane sur le Boulevard, accompagné de Simone de Beauvoir. Il y a également Prévert, Vian, Kosma… Chacun y refait le monde de son bon mot avant de rejoindre les caves du Tabou, rue Dauphine à quelques mètres, (actuel Hôtel d’Aubusson) mais aussi le salon de l’hôtel La Louisiane pour y jouer aux cartes. Ce que fit aussi Pablo Picasso avec son ami, collectionneur et écrivain, Michel Leiris.
Au fil des époques qui se succèdent, Amanda Lear, muse de Dali s’installe à La Louisiane, Albertine Sarrazin, l’écrivaine de « l’Astragale » y est en Cavale ; les Pink Floyd y séjournent, composent la bande originale de More, film de Barbet Schroeder en partie tourné à l’Hôtel. Jim Morrison y aurait également vécu des nuits folles, des soirées de tous les excès.
Quentin Tarantino, résident fidèle des années 90, s’est laissé inspirer par les couloirs dédales de l’hôtel, scénographiés dans Pulp Fiction. Quand il a reçu la Palme d’Or à Cannes, il est rentré à l’hôtel La Louisiane, son trophée dans les mains, et le chef réceptionniste l’a embrassé sur ses deux joues pour le féliciter. Des fans dormaient sur le trottoir et attendaient ses apparitions. Un réceptionniste raconte devant la caméra de Michel la Veaux (réalisateur d’un documentaire sur l’hôtel La Louisiane), qu’au premier abord, il n’a pas reconnu la belle Uma Thurman, et ainsi, en professionnel zélé, ne lui a pas octroyé l’accès à la chambre de Quentin Tarantino.
Un des résidents les plus célèbres de L’Hôtel La Louisiane, demeure Albert Cossery, un écrivain francophone égyptien, qui considérait la langue française comme sa deuxième langue maternelle en raison de la beauté de sa littérature et la richesse de ses écrivains. Et parce que tout jeune, il lisait les classiques en langue française. Il était proche d’Albert Camus et d’Edmond Charlot, son premier éditeur. Venu s’installer à Paris, Albert Cossery a choisi l’Hôtel La Louisiane où il a vécu toute sa vie jusqu’à sa mort le 22 juin 2008. Il a choisi une vie modeste, simple, une vie d’hôtel et de mouvements nomades. Toute son œuvre, il l’a écrite entre les épais murs de pierres de l’hôtel la Louisiane : « Mendiants et Orgueilleux », « La maison de la mort certaine », « Les couleurs de l’infamie » sont quelques-uns de ses romans célèbres.
Et, bien d’autres écrivains et artistes sont passés par La Louisiane : Giacometti, qui voulut payer Marthe avec des statuettes mais, en authentique jurassienne, elle leur préféra quelques pièces… Plus tard, l’artiste Keith Haring dédicaçait des serviettes éponges aux réceptionnistes de l’époque ; Lucien Freud a peint l’œuvre « Hotel Bedroom » inspiré par son séjour à la Louisiane… Nan Goldin a pris une photographie sur l’un des lits de l’hôtel…
En 2015, Michel La Veaux, fidèle résidents de l’hôtel a réalisé un documentaire sur l’hôtel où il s’entretient avec Juliette Gréco, Olivier Py, directeur du festival d’Avignon, Robert Lepage, réalisateur et dramaturge québécois, Gérard Oberlé, écrivain et chercheur littérature française.
En octobre 2021, l’éditeur François Besse a sorti chez « Parigramme » le livre « Paris bohème » du journaliste et écrivain Bertrand Matot ; il consacre un chapitre à l’hôtel La Louisiane. Comme le fit d’ailleurs, quelques années auparavant, Juliette Gréco dans son autobiographie « Je suis faite comme ça »…
L’Hôtel imprègne aussi les mémoires d’Anne-Marie Cazalis : « le journal d’une Anne », et les correspondances ainsi que l’œuvre de Simone de Beauvoir. Même Albertine Sarrazin en parle dans ses journaux intimes, ceux-là même qu’elle prénomme « maman ».
Aujourd’hui, l’esprit de l’hôtel n’a pas changé. On peut même dire qu’il est resté totalement “dans son jus”. Fièrement implantée au 60 rue de Seine, l’adresse continue sa vie artistique à travers de belles expositions.
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