Dresser le portrait de Marie-Antoinette est un art bien délicat. Il est si complexe, qu’il nécessite une perception fine de ses nuances, de ses contours et de ses aspérités. Derrière ce visage iconique, figé sur des toiles d’illustres artistes, cette âme infiniment vive, animée, riche et complexe a durant sa courte existence, oscillé entre l’ombre et la lumière, en révélant un nombre incalculable de facettes.
L’esprit de Marie-Antoinette fut le théâtre d’une pléiade d’émotions qui à l’instar d’une palette de couleurs travaillée par Madame Élisabeth Vigée Le Brun, méritait que l’on s’y attarde avec talent.
Des représentations écrites de Marie-Antoinette, il y en a eu pléthores, la plupart caricaturales et dépourvues de subtilité. Sa vie ne se résume pourtant pas à des dates, de même que sa personnalité ne peut reposer exclusivement sur du fantasme.
Rendons à Marie-Antoinette, ce qui est à Marie-Antoinette ! Telle pourrait être la devise d’Elisabeth Reynaud, l’auteure de « L’indomptée », publiée aux éditions L’Archipel. Son approche sensible, son style enlevé et sa plume passionnée parviennent à rendre hommage avec une fidélité inédite, à la Reine de France la plus controversée de l’Histoire.
Au plus près des faits historiques et dans l’intimité de son journal intime, Elisabeth Reynaud parvient à capturer l’essence de cette insoumise au cœur tendre. L’auteure réalise un travail d’écriture d’une rare minutie et démontre à quel point reconstituer sa vie revient à restaurer une œuvre endommagée par les affres du temps. Morceau après morceau, elle a rassemblé les fragments de son dessein fragile.
Toute la valeur ajoutée de l’auteure est d’avoir recoupé des archives entre elles pour démontrer factuellement ce qui a véritablement régit la vie trépidante d’une reine « frivole », mais pas seulement…
C’est au peigne fin, à travers les récits écrits par Marie-Antoinette en personne, que l’on découvre une femme incomprise, belle, seule, orgueilleuse, gracieuse, joyeuse, têtue, spontanée, intelligente, malicieuse, coquette, simple, vertueuse, authentique, forte, meurtrie, drôle, aimante, mélancolique, courageuse… En un mot, touchante !
Dans cet opus, Elisabeth Reynaud ne cherche pas à glorifier à tout prix celle qui est devenue une icône. Marie-Antoinette n’y est guère dépeinte comme une héroïne, mais belle et bien comme un être humain, avec des défauts avérés et des qualités reconnues.
L’auteure prend des risques et se mesure au danger de l’interprétation. C’est avec une maîtrise totale des événements, des témoignages, des écrits de Marie-Antoinette et des correspondances, que l’écrivaine réalise la prouesse de reconstruire le fil conducteur de l’existence de l’indomptée.
Indomptée pourquoi ? Marie Antoinette avait un caractère bien trempé et elle n’en faisait qu’à sa tête, faisant fi des conventions, bousculant l’étiquette et le protocole pesant de la Cour ! Très jeune, elle déboule dans les appartements de Louis XV tout juste vêtue d’une chemise, sans crier gare et sans se faire annoncer et prend ses aises telle une rebelle ! Le roi est son père de substitution, il est son « papa – roi » et elle cultiva tout au long du règne de ce monarque hédonisme, une haine absolue pour sa favorite, la Du Barry. Elle ne se privait pas pour le dire et le montrer, provoquant le désarroi de sa mère qui suit de très près, ses débuts à la Cour. Que se cachait-il derrière cela, si ce n’est qu’un impétueux relent de jalousie ?
Marie Antoinette est une lionne en cage. Pleine de fougue, de passion et de désir d’amour. Son mari ne lui plait guère, elle préfère la compagnie du fringuant Comte d’Artois, de la Lamballe transie d’amour et d’admiration pour elle ainsi que de son cercle privé. C’est dans la danse, le théâtre, la musique, la mode et les jeux que la belle s’épanouit… La frivolité est son refuge. Enfermée dans une vie d’obligations pesante, elle s’échappe aux bals de l’Opéra de Paris, affublée d’un masque et fait la rencontre du sublime suédois Axel de Fersen… C’est le coup de foudre, il devint sans équivoque l’amour de sa vie, jusqu’à son dernier souffle.
Grâce à la progression du récit, on se figure toute la démesure d’un règne qui se noie littéralement dans un luxe outrancier. Marie Antoinette étouffe ses angoisses sous des montagnes de rubans, de plumes, de fanfreluches, de soieries et de diamants… Rose Bertin et Léonard, couturière et coiffeur, participent à cette addiction menant à la banqueroute. Son apparente frivolité, n’est donc que le masque de tourments refoulés.
Belle captive et pourtant si insaisissable !
La reine de France fut maintenue en captivité à Versailles et dans d’autres châteaux (La Muette, Marly…) et c’est hélas, son cachot à la conciergerie qui fit le relai. Fière, instinctive et avec une spontanéité animale, elle rejoignit la jungle populaire déchaînée pour arriver sur l’échafaud, sans jamais perdre sa dignité légendaire.
Les français l’ont tour à tour aimée, puis détestée mais ce que l’ouvrage d’Elisabeth nous fait comprendre, c’est que finalement, ce peuple a vécu auprès d’elle, tout en passant à côté d’elle. Marie Antoinette est si moderne : une fashionista avant l’heure, une star traquée par la presse people de l’époque, une jet-setteuse bling bling qui trompe l’ennui dans la Fête et le shopping…
Ce qu’il y a de marquant derrière tout cela, c‘est ce paradoxe infiniment énigmatique : une reine qui aspire à une vie simple et “sauvage” à la campagne (dans son hameau, avec ses animaux et des enfants) et qui pourtant va à l’inverse de cela, en jetant son dévolu sur des apparats onéreux et superficiels… Comme si finalement, cette dernière méprisait tant sa situation à la cour, qu’elle s’évertuait à la singer avec des atours ridicules.
Plus c’était extravagant et loufoque, plus cela représentait pour elle une chance inouïe d’exprimer son dédain. La reine fut-elle, malgré elle, cynique ? Une chose est sûre, elle fut avant-gardiste et profondément ouverte à une forme de liberté créative. Dans la surenchère permanente, elle aima imposer son style et son esthétique “nouvelle vague”, qui encore aujourd’hui perdure dans l’univers de la mode et du design.
L’avis de Paris frivole : la lecture de « L’indomptée » est un délice pour les fans de Marie-Antoinette car il balaie avec sincérité tout ce qu’il y a à savoir pour se rapprocher au plus près de sa vérité. Dans l’intimité suprême de son journal « exutoire », des écrits précieux conservés intactes, les lecteurs peuvent entrer dans ses pensées « sans filtre ». Elisabeth Reynaud lève le voile sur bien des mystères et révèle quelques scoops croustillants… A lire !
A propos de l’auteure : Elisabeth Reynaud a écrit de nombreux ouvrages sur des figures emblématiques féminines telles que Thérèse de Lisieux, Céline Dion, Niki de Saint Phalle, Louise de Lorraine, Sissi l’Impératrice, Madame Elisabeth, soeur de Louis XVI, Elisabeth de Hongrie, Thérèse d’Avila et bien d’autres encore… L’auteure avait déjà consacré un ouvrage à Marie-Antoinette, “Le Petit Trianon de Marie Antoinette” (2010), preuve que le personnage ne l’a pas quittée une décennie plus tard.